Au XIVe siècle, les quatre ou cinq coffretiers et malletiers qui exerçaient leur art en France œuvraient à des « coffres, bahuts, sommiers, cantines, et tous ouvrages de bois couverts de cuir, malles de lit, fourreaux de bois de lit, valises, porte-manteaux, fourreaux de pistolets, et autres ouvrages de cuir sans bois, dits de cuir gras cousus à deux chefs, avec ficelle poissée ».
La profession est réglementée sous le règne de Charles V, le 25 juin 1379, par des statuts communs conférés à la sellerie, la lormerie (éperons, étriers, mors), la coffreterie et la malleterie, dont les pratiques artisanales restent cependant distinctes. C’est le début d’un conflit entre malletiers et selliers, qui perdure encore aujourd’hui.
Un siècle plus tard, en 1479, sept coffretiers et malletiers seulement sont recensés dans le royaume. Ils demandent à se constituer en corporation distincte de celle des selliers et lormiers afin de défendre leurs intérêts propres, ce qui est consacré par deux arrêts de 1481, confirmés par un arrêt du Conseil rendu par Charles IX au Château de Vincennes, qui rappelle le règlement de 1379.
Au XVIe siècle survient la première révolution des transports que constitue l'arrivée des carrosses et la progressive généralisation de leur usage. Il n'y avait en effet, sous François Ier, que deux carrosses à Paris : celui de la Reine, et celui de Diane de France, duchesse de Châtellerault, d'Angoulême et d'Étampes, fille naturelle d'Henri II. Avec leur multiplication au début du XVIIe (le terme « carrosse » apparaît en 1574), les selliers deviennent selliers-carrossiers, ce qui donne davantage de latitude aux coffretiers-malletiers.
C’est à cette époque, au tournant des XVIe et XVIIe siècles, dans la paroisse Saint-Georges de Vivonne, au sud de Poitiers, qu’un charpentier se met à faire des malles pour les voyageurs fortunés des alentours. Le nom de son métier deviendra le sien : Maltier, malletier. L’orthographe de l’époque est d’ailleurs fluctuante ; nom et métier s’écrivent alors indifféremment maltier, malletier ou mallettier.
Une Marie Mallettier côtoie une Françoise Maltier dans les registres paroissiaux des baptêmes, mariages et sépultures de Vivonne des années 1610-1620. Peu à peu, métier et nom se mêlent : qu’il se prénomme Daniel, Pierre, Joseph (Saint Patron des charpentiers) ou Jean (Patron des malletiers, fêté le 6 mai), on ne l’appelle plus que « Maltier le malletier ».
En ces temps-là, la grandeur du règne d'Henri IV rejaillit sur tous les corps de métiers, et les selliers et coffretiers-malletiers sont alors environ quatre-vingts.
À l'aube du XVIIe siècle, le 28 septembre 1596, la communauté des coffretiers-malletiers se voit attribuer des statuts officiels.
L’article 30 prévoit comment seront faites « les Malles à mettre les lits de camp, & les Fourreaux à mettre les bois de lit, & les tables de camp » ; l'article 31 décrit la façon de faire « les Bouges à mettre vaisselle d'argent ou argent » ; l'article 34 enfin stipule « que les Fourreaux & Etuits à mettre chaises & escabliers, arquebuses, pistolets & ferrieres, gibas, befaces, & carquois, flacons d'argent, épieux, arcs, arbaletes, & autres Ouvrages, qui apartiennent au métier de coffretier, Malletier, & qui se cousent a deux chefs, seront de bon cuir de vache bien fort, cousus à deux chefs de bone ficelle, & bien poissée ». Ces statuts sont approuvés, ratifiés et confirmés par des lettres patentes d'Henri IV datées de novembre 1596.
Ironie du sort, c’est dans l’église Saint-Georges de Vivonne que Ravaillac, comme il le racontera à ses juges, aurait reçu l’ordre de Dieu d’assassiner Henri IV en avril 1610. Il poignarde le roi le 16 mai suivant…
Les malles et ouvrages en bois de Maltier le malletier commencent à être réputés dans la région où il est seul à exercer son art. À l’occasion du mariage de Louis Maltier avec une fille du pays le 17 avril 1668, les Maltier établissent leur nouvel atelier à Cissé, à quelques lieues au nord-ouest de Poitiers.
À cette époque encore, l’orthographe est indécise : le 23e tome de l’armorial général de 1696, paru en 1711, annote le blason des malletiers : « La Communauté des Coffretiers Maltiers de Paris », dont les armes sont « D'or, à un coffre de sable [c’est-à-dire noir], garni de deux serrures d'argent ».
àParis, la guerre entre malletiers et selliers reprend au milieu du XVIIIe siècle. En 1746 et 1747, des saisies spectaculaires sont effectuées sur demande des selliers chez plusieurs coffretiers-malletiers. Il s’agit de La Feugère et Le Noir, implantés rive droite rue Planche-Mibraye (ancien nom du début de la rue Saint-Martin, entre la place du Châtelet et celle de l'Hôtel de Ville) et rive gauche, rue de Seine. La corporation des selliers, à l'origine de ces saisies, est condamnée lors de plusieurs procès qui annulent ces saisies.
Les statuts des selliers-carrossiers et ceux des coffretiers-malletiers sont révisés à l'aube de la Révolution. Au nombre des quarante maîtres malletiers parisiens d’alors, on trouve les maisons Dijon, Le Grand, Lonqueux, Montfort, ou encore Boucher.
Dans la Vienne, la dynastie Maltier est déjà bien établie : en 1753, Jean Maltier se marie ; il succède peu après à Joseph son père, charpentier et malletier comme lui.
En février 1776, Turgot libéralise le travail et supprime les corporations, statuts, maîtrise, chef d’œuvres, anticipant de quinze ans le grand tourbillon de la Révolution qui fait tourner les têtes quand elle ne les fait pas tomber. Louis XVI cède face aux résistances des corps de métiers et leur redonne leurs statuts au mois d’août de la même année. La Révolution les balaiera avec le reste.
C’est notamment cette liberté d’exercice de métiers, autrefois réglementés, qui permet sous la Révolution qu’un « layetier, coffretier, emballeur » nommé Martin crée sa maison en 1792. Devenue Morel, puis Goyard, du nom de l’artisan qui la reprend en 1852, c’est la plus ancienne maison de malleterie qui soit parvenue jusqu’à nous sous ce dernier nom. Goyard est installé au 233 rue Saint-Honoré depuis 1834. Viendront ensuite Moynat, en 1849, et enfin Vuitton en 1854, tous deux layetiers-emballeurs à l’origine.
Portées par la seconde révolution des transports, celle du train à vapeur et de l’automobile, ces trois marques traditionnelles ont depuis été rejointes par le bouillant Frédéric Pinel, fondateur de Pinel&Pinel en 1998. Retrouvant son usage antique de meuble que l’on déplace d’un château l’autre, la malle redevient meuble. Mais revenue de ce voyage dans l’Histoire, elle n’est plus un bagage, mais le voyage lui-même. Elle s’ouvre à nous et nous ouvre au monde.
Par-delà l’Histoire et les siècles, Maltier le Malletier reprend son voyage inachevé. À quelques kilomètres de Poitiers, Benoît Maltier reprend l’aventure familiale et suit son rêve. Diplômé de l’école d’ébénisterie Boulle et de l’Institut de design Saint-Luc en Belgique, il recrée aujourd’hui le plus ancien malletier français : Maltier Le Malletier. L’histoire continue…